La balle est dans le camp ukrainien

Mardi, en revenant de sa mission diplomatique à Moscou et à Kiev, le président Emmanuel Macron s’est dit optimiste quant aux « solutions concrètes pratiques » qui peuvent être trouvées pour faire avancer les négociations de paix dans la crise ukrainienne.

Mais le ballet diplomatique auquel nous assistons est rendu laborieux par des exigences contradictoires et difficilement conciliables. La Russie a avancé un certain nombre de propositions dont certaines ont été un peu trop légèrement rejetées par les Occidentaux en décembre dernier. En effet, il a été jugé « inacceptable » par les Occidentaux de fermer la porte à une éventuelle adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, de renoncer à créer des bases ou à déployer des armes dans les pays ayant adhéré à l’Alliance depuis 1997 ou les pays n’en faisant pas partie, et de cesser leurs activités militaires à proximité immédiate des frontières russes.

Je pense qu’il n’y avait rien dans ces propositions russes qui ne soit pas négociable. Aucune d’entre elles ne met en jeu les intérêts vitaux des pays occidentaux ou l’existence même de l’OTAN.

Du côté ukrainien, on joue la ligne dure. Lundi, le ministre des Affaires étrangères a insisté sur trois « lignes rouges » : aucun compromis sur l’intégrité territoriale de l’Ukraine, pas de négociations directes avec les séparatistes prorusses dans l’est du pays et pas d’ingérence dans sa politique étrangère.

Où en sommes-nous aujourd’hui ? La tournée du président Macron, précédée faut-il le rappeler de nombreux entretiens téléphoniques avec le président Joe Biden, commence à lever le voile sur le chemin parcouru par les Occidentaux vers les positions de Moscou.

La ligne rouge de Poutine

Macron a reconnu qu’« il est légitime que la Russie pose la question de sa propre sécurité ». À partir de là, il faut répondre à ses demandes. L’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN est le cœur du litige, la « ligne rouge » de Poutine. Macron a dit qu’il fallait « inventer une solution nouvelle » pour l’Ukraine et n’a pas caché qu’elle pourrait prendre la forme d’une « finlandisation » du pays. Ce statut permettrait à l’Ukraine de se maintenir comme démocratie ayant une économie libérale, mais sa politique étrangère devra respecter une stricte neutralité. Macron a aussi évoqué la possibilité d’inventer « quelque chose de nouveau par définition ».

Sur la question du déploiement de matériel et de bases militaires sur le territoire des nouveaux membres de l’OTAN depuis 1997 et des États hors OTAN, les États-Unis et les Européens sont ouverts à entreprendre des négociations visant à un contrôle des armes conventionnelles dans le centre de l’Europe. Russes et Occidentaux pourraient ainsi moderniser l’actuel traité sur les forces conventionnelles en Europe signé en 1990, mais franchement moribond. Enfin, puisque les armées, qu’elles soient russes ou occidentales, ont besoin de procéder à des exercices militaires pour évaluer leur propre performance, rien n’empêche d’astreindre ces exercices à un rigoureux encadrement.

Quant au conflit interne entre Kiev et les rebelles prorusses, les Occidentaux font bloc sur la nécessité pour toutes les parties de la « mise en œuvre strictement et en totalité » des accords de Minsk de 2015 qui prévoient entre autres une certaine autonomie pour les régions russophones. Or, il est de notoriété publique que le gouvernement ukrainien ne cesse de créer des obstacles à son application.

Moscou et Kiev se sont montrés très intéressés par les propositions occidentales, dont nous ne connaissons pas tous les détails.

Poutine a accueilli positivement certaines idées avancées par Macron tout en ne lâchant rien sur l’essentiel, c’est-à-dire l’OTAN.

Pour sa part, son homologue ukrainien, Volodymyr Zelenski, a parlé de l’organisation d’un sommet entre les trois présidents d’ici peu pour faire le point sur la situation.

C’est sans doute aller un peu vite en besogne. Les propositions mises de l’avant par les Occidentaux pour répondre aux demandes russes et leur injonction pressante envers Kiev d’engager sérieusement la négociation sur Minsk risquent de déclencher un vif débat au sein du gouvernement ukrainien entre les tenants de la ligne dure et ceux qui sont conscients que c’est bien l’Ukraine, enjeu de la tension Est-Ouest, qui devra céder sur de nombreux points.

Après tout, pour reprendre ce que Macron disait au sujet du futur statut international de l’Ukraine, « la solution ne peut venir que des Ukrainiens ».

*Jocelyn Coulon a été conseiller politique du ministre des Affaires étrangères en 2016-2017. Il vient de publier Le Canada à la recherche d’une identité internationale.

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