Le passage « difficile » de Kamala Harris à Montréal
L’étoile montante des démocrates a grandi à Montréal, mais n’en fait que brièvement mention dans son autobiographie.
NEW YORK — Depuis une semaine, Kamala Harris, vedette montante du Parti démocrate, fait la promotion de son autobiographie The Truths We Hold : An American Journey, passant du plateau de l’émission The View à celui de Stephen Colbert avec aisance et élégance.
La sénatrice démocrate de Californie, âgée de 54 ans, le répète à qui veut l’entendre : ses mémoires ne sont pas un livre de campagne où elle présente ses solutions aux maux qui affligent les États-Unis. Mais elle ne trompe personne sur son objectif : faire connaître son histoire remarquable avant d’annoncer sa candidature à l’élection présidentielle de 2020, chose qui devrait survenir dès la semaine prochaine.
Or, cette histoire, telle que racontée dans The Truths We Hold, fait largement l’impasse sur les années de Kamala Harris à Montréal, où elle a terminé ses études primaires avant de faire son secondaire au Westmount High School. Non seulement la native d’Oakland expédie-t-elle son expérience montréalaise en moins de 400 mots – dans un livre de 336 pages –, mais elle ne retient qu’un seul souvenir positif de son séjour québécois et aucun de son expérience au Westmount High School, dont elle ne mentionne même pas le nom.
« J’étais heureuse là où j’étais », écrit-elle après avoir raconté son enfance à Oakland, où sa mère d’origine indienne, divorcée de son père né en Jamaïque, avait trouvé refuge au sein d’une communauté afro-américaine vibrante que fréquentaient l’écrivain James Baldwin, le poète LeRoi Jones et la chanteuse Nina Simone, entre autres artistes et militants de toutes les causes de l’époque.
« Mais quand j’étais [en sixième année], nous avons dû partir. Ma mère s’était vu offrir une occasion unique à Montréal : enseigner à l’Université McGill et poursuivre ses recherches [sur le cancer du sein] à l’Hôpital général juif. C’était une étape excitante dans la progression de sa carrière. Ce n’était pas, cependant, une occasion excitante pour moi. J’avais 12 ans, et l’idée de quitter la Californie ensoleillée en février, au milieu de l’année scolaire, pour aller dans une ville étrangère d’expression française ensevelie sous 12 pieds de neige m’était pénible, c’est le moins qu’on puisse dire. »
Selon Kamala Harris, le choc du déracinement a été d’autant plus grand que sa mère, Shyamala, a insisté pour que sa sœur cadette Maya et elle aillent à l’école primaire Notre-Dame-des-Neiges, fréquentée par des petits Montréalais francophones.
Elle écrit : « Cela a été une transition difficile, étant donné que le seul français que je connaissais venait de mes cours de danse, où madame Bovie, ma professeure de ballet, criait : “Demi-plié, and up !” J’avais l’impression d’être un canard, car durant toute la journée à notre école, je répétais : “Quoi ? Quoi ? Quoi ?” »
Sa mère a mis fin à son calvaire linguistique en la transférant dans une école anglophone. « Au moment d’arriver au secondaire, je m’étais adaptée à notre nouvel environnement […] Ce à quoi je ne me suis jamais habituée, c’est le sentiment de nostalgie pour mon pays », écrit Kamala Harris avant d’enchaîner sur sa décision inéluctable de faire ses études universitaires aux États-Unis, où elle a d’abord fréquenté l’Université Howard, surnommée la Black Harvard, avant de s’inscrire à l’École de droit Hastings de l’Université de Californie.
Kamala Harris relie à son éducation auprès des amis militants de sa mère à Oakland sa seule anecdote positive concernant son séjour à Montréal. « Un jour, Maya et moi avons organisé une manifestation devant notre immeuble pour protester contre le fait que les enfants n’étaient pas autorisés à jouer au soccer sur la pelouse. Je suis heureuse de rapporter que nos demandes ont été acceptées », écrit-elle.
un parcours « américain »
Évidemment, le sous-titre de l’autobiographie de Kamala Harris fait allusion à un parcours « américain » et non « canadien ». La candidate virtuelle à la Maison-Blanche a peut-être estimé que le lecteur américain aurait sa dose d’exotisme après avoir lu sur sa mère, partie du sud de l’Inde à l’âge de 19 ans pour aller étudier à l’Université de Californie à Berkeley, où elle a rencontré Donald Harris, étudiant jamaïcain qui allait devenir professeur d’économie à l’Université de Stanford et qui allait notamment léguer à sa fille aînée sa passion pour les grands du jazz, les Thelonius Monk, John Coltrane et Miles Davis, ainsi que pour Bob Marley.
The Truths We Hold n’est peut-être pas un livre de campagne. Mais son auteure, qui a déjà été élue à trois postes importants – procureure du district de San Francisco, procureure générale de Californie et sénatrice de cet État –, a écrit chacun des mots de son autobiographie en pensant à sa campagne probable à la présidence. Et tant pis pour Montréal et tous ceux qui y ont croisé celle qui semble nourrir l’ambition de sortir Donald Trump de la Maison-Blanche.